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D.O. TORO

On aurait dû le savoir. Cette pensée a traversé l'esprit de bon nombre de vignerons espagnols en observant la petite D.O. située dans l'ouest de la Castille devenir subitement le centre d'attention. Toute la presse en parle et toute discussion sur le vin évoque nécessairement le potentiel de cette région située près de la fron¬tière portugaise. Il faut dire que Toro est loin d'être un nouveau venu dans l'histoire du vin en Espagne. Il est acquis que la province de Zamora compte parmi les plus anciens vignobles à l'intérieur de la péninsule ibérique et que des vignes y ont été plantées avant l'époque romaine. Dans le haut Moyen Âge, les vins de la région de Toro étaient déjà réputés et appréciés. Les pèlerins sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle buvaient ce vin puissant qui les revigorait. Au XIXème siècle, la région connut une période de prospérité en exportant de grandes quantités de vin vers la France, frappée alors par le phylloxéra. Des temps plus difficiles arrivèrent avec la création du Service national du blé, lequel, pour juguler une situation très difficile d'approvisionnement dans le pays, fit arracher des vignobles en masse pour faire place à des céréales. Là où plus de 35 000 hectares de vignobles étaient alors cultivés, s'étendaient à perte de vue des champs de maïs. À peine 5 000 hectares de vignoble existaient encore dans les années 1970. Il faut bien dire que personne ne re¬grettait ce vin-là. Les vins de Toro, avec leur côté « gros rouge », s'étaient fait la pire des réputations au cours des siècles précédents. Les méthodes de vinification de beau¬coup de petits producteurs, qui utilisaient encore des fûts de chêne stockés dans des caves creusées dans le sol, n'avaient que peu changé depuis des siècles. Avec peu d'exceptions, les vins produits étaient jugés trop chargés, excessivement lourds et âpres. Personne n'envisageait que le Tinta de Toro, le principal cépage rouge de la région, pouvait un jour produire autre chose. L'unique raison qui a empêché ces vins de sombrer définitivement tenait à leur valeur sur un marché bien spécifique. En effet, leur couleur si intense et leur énorme degré d'alcool étaient très prisés par des producteurs de vin de table, principalement dans le Nord de l'Espagne, qui s'en servaient pour fortifier de petits vins maigres. Pendant de longues années, il n'y avait pour ainsi dire plus de vin du Toro, ou du moins pas de vin commercialisé sous ce nom. La renaissance s'est produite grâce à un homme, Manuel Fariña. Fils de vigneron et connaisseur depuis toujours du Tinta de Toro, il a cru dès le début aux qualités du cépage local. Les premières réflexions sur les moyens de rénover la production s'étaient focalisées sur la restructuration du vignoble existant et l'importation de cépages nouveaux. Mais Fariña, convaincu du potentiel des vignes de sa région, est resté fidèle au Tinta de Toro et a résisté à toute tenta¬tive d'ouvrir la région à une invasion de cabernet sauvignon et autres merlots. Son plan était aussi simple que clair. Il s'agissait, premièrement, de réduire le degré d'alcool, d'augmenter l'acidité et de transformer l'odeur plate et déplaisante en un arôme frais et agréable. À cette fin, il a avancé les vendanges d'octobre à septembre, de sorte que le raisin n'arrivât plus à la cave trop mûr et avec un degré d'alcool excessif. La deuxième modification toute aussi importante fut l'installation de cuves en acier. Les moûts pouvaient enfin fermenter dans de bonnes conditions de température, ce qui, compte tenu des fortes chaleurs encore fréquentes en septembre, était un facteur décisif pour obtenir des vins plus aromatiques. Au vu des résultats convaincants du vigneron révolutionnaire, les autres producteurs ont vite compris que le Tinta de Toro restait la meilleure solution pour la région.et ses idées furent rapidement adoptées par d'autres producteurs motivés.C'est ainsi que le terroir a su conserver son caractère d'origine, ce qui s'est révélé être la condition nécessai¬re à l'étonnant décollage que connaît la région aujourd'hui.